Genève: Accusé de viol, Tariq Ramadan est acquitté 

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GenèveAccusé de viol, Tariq Ramadan est acquitté

Le Tribunal correctionnel a estimé n’avoir pas assez d’éléments pour condamner l’islamologue. La plaignante affirmait qu’il avait abusé d’elle en 2008. 

Jérôme Faas
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Jérôme Faas
Tariq Ramadan photographié le 16 mai devant le Palais de justice de Genève.

Tariq Ramadan photographié le 16 mai devant le Palais de justice de Genève.

AFP

«Le tribunal rappelle qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la moralité de Tariq Ramadan, mais uniquement sur le dossier.» Dès l’entame de la lecture du verdict de procès de l’islamologue volage accusé de viol, ce mercredi matin, il apparaissait assez clair qu’il allait être acquitté. Tel a bien été le cas, les juges n’ayant pas jugé assez crédible le témoignage de «Brigitte», la plaignante qui accusait l’intellectuel d’avoir violemment abusé d’elle dans un hôtel de la place en 2008. Les magistrats ont ainsi déclaré «ne pas être en mesure de se forger une intime conviction de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable».

Pas d’éléments matériels

D’éléments matériels, ils ne disposaient pas: ni traces de sperme, ni constats de lésions, ni images, ni témoins directs. Ils ne pouvaient s’appuyer, pour trancher, que sur de nombreux messages échangés entre «Brigitte» et Tariq Ramadan avant et après les faits, sur divers témoignages indirects de personnes ayant recueilli les confidences de la plaignante, et sur les déclarations de cette dernière.

Les témoignages indirects ont été écartés: recueillis près de dix ans après les faits, parfois contradictoires, ils ont été jugés altérés par l’évolution du temps et, surtout, par la publicité faite autour des diverses affaires sexuelles dont est accusé l’islamologue en France. En outre, plusieurs de ces témoins ont indiqué que «Brigitte» n’avait pas utilisé le terme de viol.

Déclarations «contradictoires» des psychiatres

Les déclarations des deux psychiatres consultés par la plaignante après les faits ont eux aussi été qualifiés de contradictoires: le premier parle de viol dans un contexte de «consentement ébahi», mais sans parler des violences physiques alléguées par la plaignante. Quant au second, il évoque une «emprise perverse», mais sans évoquer de pénétration ni de viol. «Il en résulte un certain flou sur la version que la plaignante a livré aux témoins», dont il est impossible de «réconcilier» les déclarations. Il est par ailleurs «établi» qu’elle était «pétrie d’admiration» pour Tariq Ramadan à l’égard duquel elle avait adopté «une attitude séductrice».

Des messages d’amour qui ont desservi la plaignante

Les messages qu’elle a envoyés à l’intellectuel dans les heures et les jours suivant les faits n’ont pas non plus joué en sa faveur. «Elle ne cherche pas d’explications et tente à tout prix de garder le contact.» Les juges ont ainsi répété la teneur de certains d’entre eux, où elle indique notamment qu’elle «rêve de l’embrasser» ou qu’il est «un homme merveilleux». Ils ont par ailleurs «exclu» l’idée qu’elle ait pu être sous emprise, dès lors que «les protagonistes ne se connaissaient pas» et que «le prévenu n’a adopté aucun comportement visant à établir cette emprise». 

Quant à l’existence d’un stress post-traumatique vécu par «Brigitte», qu’attestent les médecins, il ne l’a pas davantage servie. Les magistrat n’ont certes «aucune raison de le remettre en cause - il ne fait aucun doute que la plaignante a mal vécu la soirée (ndlr: Tariq Ramadan a toujours soutenu que «Brigitte» avait sans doute été humiliée après qu’il l’avait sèchement repoussée, constatant qu’elle avait ses règles) - mais il ne permet pas d’établir la matérialité des faits.»

Pas de mention de viol dans les écrits de «Brigitte»

Le Tribunal correctionnel avait également à sa disposition de nombreux échanges sur des blogs entre la plaignante, des personnes impliquées dans la procédure française et des journalistes ayant sans doute la volonté de faire tomber Tariq Ramadan. Mais «on ne trouve pas dans ces échanges la mention de viol ou de contrainte sexuelle», ont constaté les magistrats.

Quant à la procédure française versée au dossier (Tariq Ramadan est accusé de quatre viols commis entre 2009 et 2016 dans l’Hexagone), elle est «partielle et inachevée. On ne peut en tenir compte sans violer la présomption d’innocence», dès lors que l’islamologue n’a pas encore été jugé. Bref, rien ne permet, au regard du droit, et seulement du droit, de condamner Tariq Ramadan, qui a par ailleurs fourni «des explications constantes», sur lesquelles les juges ne se sont pas étendus.

«Brigitte» a immédiatement annoncé sa volonté de faire appel de ce jugement, par l’intermédiaire de son avocat Me Robert Assaël.   

Me Yaël Hayat: «Le plus important, ce sont les mots d’amour»

«Le tribunal a été étanche aux slogans et au vacarme, s’est félicitée Me Yaël Hayat, l’avocate de Tariq Ramadan. Ce jugement n’est ni un coup de cœur, ni un coup de tête, car il reprend un à un les éléments du dossier. Le plus important, ce sont les mots d’amour, ceux d’avant et ceux d’après, qui depuis les temps bibliques sont universels. Le sens qu’on a voulu leur donner est insensé, et les juges n’ont pas cédé à cela, notamment en chassant la notion d’emprise, qui est une échappatoire lorsque l’on est dans le déni de ce que l’on a été. Ce verdict est très rassurant, dans un contexte où, sur la place publique, MeToo a fait des ravages: on fait dorénavant allégeance à la parole de la victime sans débat. Il est rassurant que dans l’enceinte judiciaire, ce débat ait lieu.»

Me Robert Assaël «choqué» par «la partialité du tribunal»

«La partialité du tribunal durant les débats me faisait craindre cette issue, a réagi Me Robert Assaël, l’avocat de la plaignante. J’ai été choqué notamment de la manière dont la victime a été malmenée par les juges et de la place disproportionnée laissée au prévenu qui ne répondait pourtant pas aux questions.» Ayant annoncé un appel, il juge que «ce n’est qu’une étape: je suis plus déterminé que jamais à aller jusqu’au bout pour que la voix de la victime soit entendue et écoutée». Il estime au surplus que «les motivations du tribunal sont totalement contradictoires. Il dit à la fois qu’elle a été constante dans ses déclarations, mais qu’elle serait allée voir les psychiatres juste après les faits pour gérer sa déception d’avoir été éconduite. Alors, pourquoi leur parler d’une agression sexuelle? C’est énorme, tout comme l’idée qu’un simple dépit puisse générer le stress post-traumatique constaté par les médecins. Il est tout aussi absurde de retenir que la victime a voulu nuire au prévenu, alors qu’elle attendra dix ans pour dénoncer le viol subi.»

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