John McTiernan au NIFFF: «Les films d’action d’aujourd’hui sont remplis de haine»

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InterviewJohn McTiernan: «Les films d’action d’aujourd’hui sont remplis de haine»

Le réalisateur culte de «Predator» et «Piège de cristal» est l’invité d’honneur du Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) jusqu’au 8 juillet. Il nous partage ses souvenirs de tournage et son amertume envers Hollywood.

Laurent Flückiger
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Laurent Flückiger

Son nom est moins connu que ceux de Steven Spielberg, James Cameron ou Michael Bay. Sa filmographie, par contre, est célébrissime. Culte, même. John McTiernan, 72 ans, est l’un des maîtres du cinéma d’action, à qui l’on lui doit quelques-uns des meilleurs souvenirs des années 80 et 90: «Predator» et «Last Action Hero» avec Arnold Schwarzenegger, «Piège de cristal» et «Die Hard 3» avec Bruce Willis, «À la poursuite d’Octobre Rouge» et «Medicine Man» avec Sean Connery, «Thomas Crown» avec Pierce Brosnan.

Cette semaine, John McTiernan est l’invité d’honneur du NIFFF, à Neuchâtel. Le cinéaste américain parle volontiers de son travail, même s’il est désabusé de Hollywood, lui qui n’a plus fait de films depuis vingt ans. Assis à l’ombre sur la terrasse du Théâtre du Passage, l’homme est bavard et commence par nous parler longuement de la naissance de la démocratie aux États-Unis inspirée «secrètement» par les cantons suisses et de la confédération iroquoise, dans le nord de l’Etat de New York, où il a grandi. Un féru d’histoire John McTiernan? «Plutôt d’anthropologie, répond-il. En fait, c’est la même activité que de faire un film. Il s’agit d’essayer de comprendre ce que font les gens.»

John McTiernan, pourquoi les films d’action des années 80 et 90 restent encore aujourd’hui comme les meilleurs jamais faits pour beaucoup de spectateurs?

Je n’ai jamais réfléchi à ça. L’une des raisons est que les studios ont été rachetés par de gros investisseurs. Ce sont juste des choses qui appartiennent à des gens riches de New York, des propriétaires absents qui envoient des surveillants dont la seule instruction est de maximiser le rendement. C’est comme ceux qui géraient des plantations dans le Mississippi en 1850, ils se foutaient complètement de ce qu’était le coton. Ce qui compte, c’est l’argent qu’il a rapporté aux propriétaires. Les studios ont servi au monde pendant vingt ans des histoires sur des superpersonnes qui ne sont pas des personnes. Ils vendent des histoires qui ne concernent pas les êtres humains. Et je trouve ça politiquement plus que répréhensible.

Ces films appartiennent à la pop culture, ils ont un style qui plaît.

Et il y a eu de la joie parce qu’un certain nombre de gens découvraient ça, achetaient de nouvelles choses. Mais ils ont toujours fait des films d’action. Prenez les westerns.

Que pensez-vous des films d’action d’aujourd’hui?

Ils sont remplis de haine. Les gens continuent à m’envoyer des scripts encore et encore, et je continue à les renvoyer en retour. C’est tout simplement horrible. 

«Les films «Mission impossible» sont des publicités pour la marque Tom Cruise»

John McTiernan, cinéaste

Prenons la franchise «Mission impossible», dont un nouveau volet va sortir cet été: ça ne vous plaît pas non plus?

On m’a demandé de diriger le premier «Mission impossible». Et j’ai eu une réunion avec Tom Cruise. À cette époque, il avait déjà commencé à devenir M. Cool. Il était le chef de la mission. Et pour moi, on ne pouvait rien développer à partir de ça. Alors j’ai dit: pourquoi ne pas faire en sorte que vous, Tom Cruise, ne soyez qu’un type, un spécialiste d’une petite chose, et ils ont déjà cet équipement et une personne qui dirige tout, et vous êtes juste le Numéro 4 de l’équipe et le Numéro 1 se fait tuer? Ils ont pris un peu de ça et l’ont mis dans le film.

Vous avez donc refusé de faire le film?

(Il prend une pause.) Je vais vraiment avoir de problèmes avec Tom Cruise. Mais qu'est-ce que ça peut faire? Écoutez: ses films ne parlent que de son côté cool. Ce ne sont pas des films mais des publicités pour la marque Tom Cruise.

Votre film «Last Action Hero» a 30 ans cette année. Il a reçu un accueil mitigé. Mais, au fil des ans, il a acquis un statut culte. Est-ce que cela compte plus pour vous que le succès?

Non. Je savais quel était le problème au départ. Le film n’a jamais été fini. Nous avons terminé le tournage trois semaines avant qu’il ne soit en salle. Le studio a insisté pour le sortir la semaine après «Jurassic Park», ce qui était suicidairement stupide. Je n’avais pas développé le scénario. C’était le leur. Le scénario est «Cendrillon»: Arnold Schwarzenegger est la bonne fée, le petit garçon est Cendrillon. Et je leur ai dit: qu'est-ce que c’est que cette absurdité que vous vendez? Vous êtes fous! Mais les responsables du marketing n’y ont pas prêté attention. Ils ont continué à commercialiser le plus grand film d’action de l’histoire. Ce qu’il n’a jamais eu l’intention de l’être. Si vous dites à un public, dans la publicité, qu’il s’agit d’une chose et que le film en est une autre, que pensez-vous qu’il va se passer? Vous leur avez menti. Ils vont être furieux.

Vous pensez à un director’s cut?

Si j’en ai l’occasion, si quelqu’un me le permet, j’aimerais beaucoup. Parce que c’est un merveilleux petit film. C’est si triste. Moi, je ne tourne pas avec plusieurs caméras. Je filme, je sais dans quel ordre les plans doivent être faits. C’est ainsi que j’ai tourné. Pas partout, mais à beaucoup d’endroits, il n’y a qu’un seul plan et il se raccorde au plan suivant. Parce que je sais précisément ce que je veux. Tout ce qu’ils ont fait, c’est couper.

«Sur «Predator», Arnold Schwarzenegger est tombé malade. Il a tourné pendant deux jours avec une perfusion dans le bras.»

John McTiernan, cinéaste

Parmi vos films, il y a bien sûr «Predator». Le tournage au Mexique était-il aussi difficile qu’on le raconte?

C’était difficile à Puerto Vallarta parce que je n’étais qu’un réalisateur débutant, je n’étais personne. Le studio avait un designer qui n’avait pas fait de recherches sur l’orientation que nous devions donner à ce film. Il ne savait pas que les arbres au Mexique ont les feuilles qui jaunissent au printemps et tombent, puis reviennent à l’automne, pendant la saison humide. C’était horrible. Il n’y avait pas de jungle! Arnold est tombé malade et il a tourné pendant deux jours avec une perfusion dans le bras. Et son visage était maigre, c’est visible dans le film. Après avoir fait la première partie du film à Puerto Vallarta, nous sommes rentrés chez nous pour faire le montage. Le studio a pu voir que je savais ce que je faisais. Ils m’ont donc écouté et m’ont laissé aller là où il y avait de la jungle, dans les Caraïbes. C’est là que nous avons terminé «Predator».

Lequel de vos films êtes-vous le plus fier?

«Thomas Crown». C’était le plus sympa à faire. Et «Le 13e guerrier». Même si, à la fin, j’ai eu un problème avec Michael Crichton (ndlr.: producteur sur ce film, celui-ci a fait le montage après le départ de McTiernan).

Qu’est-ce qui peut vous faire revenir à la réalisation d’un film?

L’argent. Je ne veux pas travailler pour les studios, et je ne suis pas intéressé par le remake d’un film que j’ai déjà fait. J’ai quelques projets sur lesquels je travaille. J’étais sur le point de recommencer à tourner quand le Covid a frappé et a tout détruit. Ma femme et moi sommes allés sur une petite île de 2000 personnes en Colombie-Britannique. Au début de tout cela, nous ne savions pas à quel point cela allait être grave. J’ai lu «La peste» de Camus à l’université, et j’avais plus peur de la panique que de la maladie, que les gens deviennent incivilisés et dangereux. Mon épouse était à La Nouvelle-Orléans avec ses enfants et je n’arrêtais pas de lui crier: «Vous devez partir!» Et il s’est avéré qu’elle était à bord du dernier avion autorisé à entrer au Canada avant qu’ils ne ferment les frontières. Si elle ne l’avait pas pris, je ne l’aurais pas vue pendant deux ans. Aujourd’hui, je vis principalement au Canada. Les États-Unis sont au milieu d’une contre-révolution fasciste. C’est la continuation de la guerre civile américaine.

Plus de 120 films en projection au NIFFF jusqu’au 8 juillet

Pour celles et ceux qui veulent rencontrer John McTiernan, c’est ce dimanche 2 juillet. Le cinéaste donnera une conférence à 14 h. On pourra revoir aussi «Piège de cristal» en open air, le 6 juillet à 21 h 45, «Last Action Hero» le 7 juillet au Studio à 19 h et «Predator» le 8 juillet aux Arcades à 16 h 30.

Le NIFFF, c’est aussi et surtout 124 œuvres projetées, des sections asiatique, «Ultra Movies» ou «Amazing Switzerland», un focus sur le Japonais Katsuhito Ishii, des films pour les enfants ou encore des frissons sans frousse. Tout le programme sur nifff.ch.

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